Il dit oui, il dit non et peu importe le mot, il a seulement besoin de parler, il doit rompre le silence, abréger sa solitude, les yeux vaguement perdus dans un ailleurs que lui seul connaît, il rêve jusqu'au délire. Demain pense-t-il, demain sera un jour nouveau, un autre enjeu, un autre départ, alors autour de ces idées il tourne jusqu'à la nausée, la folie.
Elle est venue ce matin. Elle avait une robe fleurie, des fleurs partout jusque dans les cheveux. Trop, bien sûr, il y en avait beaucoup trop mais elle était faite ainsi, sans retenue, sans mesure. Et pourquoi l'avait-elle regardé d'un air aussi apitoyé, pourquoi avait-elle aux coins des lèvres ce petit sourire sarcastique qu'il ne connaissait que trop bien! C'était insupportable. Soudain il avait eu l'irrésistible envie de la saisir à la gorge et de serrer son coup gracile.
Les yeux fermés il accomplissait ce geste qui mettrait un terme définitif à ses souffrances. C'est à ce moment qu'il l'entendit rire aux éclats. C'était un son d'une incroyable insolence, il claquait comme une insulte. Il explosa!
- Mais ferme ta gueule éructa-t-il, ferme ta gueule putain!
-Non mais ca ne va pas! Dit-elle.
- Mais si, très bien même. Je viens de réaliser à quel point je te hais, tu m'écœures.
- Pff toujours la même chanson! Tu devrais changer de répertoire mon pauvre vieux!
Ce n'était pas le mot "Vieux" qui l'agressait mais plutôt ce "Pauvre"... qui permettait de penser à plein de choses: pauvre mec, pauvre abruti, pauvre minable, pauvre con et bien plus encore!
- Le "Pauvre vieux" t'emmerde, c'est tout.
Elle parut interloquée et c'était normal car jamais au grand jamais il ne lui avait parlé de la sorte.
-T'es vraiment trop con! hurla-t-elle en se dirigeant vers la porte.
C'était le mot de trop, celui qu'elle n'aurait jamais dû prononcer. Ce fut aussi son dernier mot.
Elle gisait inerte sur le tapis jaunâtre, minable et râpé. Lui, bras ballants, la regardait avec surprise.
- Mais non de Dieu qu'est ce qu'elle fout là sur ma moquette?
Il se sentait complètement enfumé, ailleurs. Tellement absent qu'il avait l'impression de ne plus exister. D'ailleurs existait-il? Il prit son paquet de cigarettes et en alluma une. Il en tira une bouffée avec délectation. Ce dont il était absolument certain c'est qu'elle n'aurait plus jamais l'occasion de le faire chier et ça, ça n'avait pas de prix! Alors il décrocha tranquillement son téléphone.
- Allo le commissariat? Demanda t-il - Voulez-vous venir au 22 rue des Amoureux à Maubeuge, je viens de dézinguer ma gonzesse.
Sur ces mots il prit son imperméable, mit son chapeau crado comme ce n'était pas possible, jeta un dernier coup d'œil sur le corps immobile et sans se hâter sortit en sifflotant.
Lorsque les flics arrivèrent au 22, rue des Amoureux, pas plus de dix minutes après avoir été alertés, la porte de la maison était ouverte. Flingue au poing ils se précipitèrent à l'intérieur et eurent beau chercher "le cadavre" ils ne trouvèrent rien. Absolument rien de suspect dans ce logement triste et minable dont le tapis jaunâtre et mité n'était pratiquement que le seul décor.
- Encore une de ces connards qui s'est foutu de notre gueule! Encore un coup pour rien! Dit celui qui était le plus gradé.
- Oui chef comme d'hab! Répondit le subalterne d'une voix déprimée.
Car il adorait les scènes de crime, il aimait son métier par dessus tout, la vue du sang le rendait dingue, ce coup fourré le décevait terriblement. Plus c'était trash plus il s'éclatait. Il se voyait déjà rentrer chez lui après le service et raconter ses derniers exploits à sa mémère émerveillée.
- Un héros, disait-elle, mon homme est un héros!
Alors pour se faire mousser il en remettait une couche! Des cadavres il en inventait à tout berzingue et sa meuf l'écoutait religieusement les yeux luisants, la bouche ouverte peinte au minium, avec sa tronche enfarinée de poudre de riz.
La pauvre avait pas mal roulé et ça se voyait! Mais bon celle ci ou une autre il s'en contentait, et puis elle faisait bien le cassoulet son plat préféré. Il faut dire que le gars était de Carcassonne, ceci explique cela!
Enfin arrivée chez elle Margarita s'envoya deux grands verres de Vodka et totalement H.S s'affala sur son canapé les bras en croix et les jambes en X!
Il était 19h30 lorsque la relève se présenta au commissariat. Le subalterne avait gribouillé RAS sous la date, le brigadier avait mentionné "lu et approuvé" la journée était bouclée et chacun allait tranquillement rentrer chez soi, après une journée somme toute comme les autres mis à part cette désagréable fausse alerte.
La première chose qu'il vit en entrant dans le salon fut le cul de sa femme en cinémascope! Elle s'étalait sur le canapé la bouche ouverte, la jupe retroussée jusqu'au trognon, complètement dans les vapes! D'un coup d'œil sur la table basse il jaugea la bouteille de Vodka qui en avait pris un sacré coup depuis la veille. Elle, sa femme, dégageait une sacrée odeur d'alcool, son flair de fin limier lui souffla qu'elle était complètement bourrée! Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait une biture et même bien souvent il l'accompagnait, après quoi ils baisaient comme des phoques jusqu'à ce que sommeil s'en suive!
Il se servit un verre, alla prendre une douche. Quand il revint elle avait émergé et l'attendait en souriant. Elle avait l'air fatiguée, mais en y regardant de près finalement pas plus que d'habitude. Ses valises sous les yeux étaient toujours là, ses cheveux ternes et plats aussi, par contre nulle odeur agréable n'émanait de la cuisine, il se demanda ce qu'elle avait foutu. C'était sûr il n'y aurait pas de cassoulet ce soir. Il se sentit un peu frustré car cet homme plutôt grassouillet jouissait d'un appétit d'enfer.
- Alors, lui demanda-t-elle, quelles nouvelles aujourd'hui?
D'un air modeste il répondit
- J'ai enquêté sur un assassinat. C'était terrible, du sang partout, de la viande collée aux murs, je te passe les détails mais crois-moi, j'ai pris du galon!
- Vraiment? Raconte-moi vite mon chéri, tu sais que j'adore ça!
Et voila notre subalterne qui s'éclate, se lâche, décrit les scènes les plus sordides, il faut dire que bien que très con il ne manquait pas d'une certaine forme d'imagination. Elle n'en perdait pas une miette, elle en grimperait même aux rideaux s'il y en avait!
Lorsqu'il eut terminé son récit grandguignolesque, il se dit qu'il était temps de passer à table.
- Margarita chérie, qu'as-tu fait de bon pour la bouffe?
A aucun moment il ne remarqua les traces rouges sur le cou de sa nana. Ce flic n'était pas très observateur. Elle ne répondit pas tout de suite à sa question, dubitative elle lui demanda:
- Et ça se passait où cette affaire?
- Au 22, rue des Amoureux à Maubeuge.
Elle faillit avaler son dentier!
- Et bien quelle histoire! De toutes celles que tu m'as racontées je crois bien que c'est la meilleure! Un dernier coup d'œil sur son "Héros" et elle fila à la cuisine pour ouvrir une boite de cassoulet.
Le lendemain à 15h50 comme tous les jours passés, présents et à venir, totalement ressuscitée elle baisait sur le tapis jaunâtre du 22 bien connu avec son "assassin" qui ne sachant plus où aller avait regagné son domicile en serrant les fesses, mais trop content de retrouver sa Margarita sur pieds!!!
Ceci est une histoire vraie, et croyez-moi c'est du lourd!!!