C’était un parapluie d’usage, un bon vieux parapluie, ni beau, ni laid, pas plus grand que petit. Très ordinaire en somme.
Il avait été abandonné là, distraitement sans doute et nul ne s’était jamais donné la peine de venir le récupérer.
Gris et de grise mine, il restait immobile, inactif, inutile, perdu enfin…
Les jours, les nuits, le temps passaient terriblement monotones, sans excentricité ni fantaisie. Il s’ennuyait énormément, mais conservait tout de même une dignité exemplaire.
Cependant un soir d’orage, une jeune et alerte personne, jambe svelte, nerveuse, l’aperçut et… l’emporta !
Les voilà tous deux partis en goguette, l’une dessous, l’autre dessus.
Délicieuse, la pluie tombait, chantait, ruisselait, cascadait même sur le vieux tissu tendu et, miracle ! Voici qu’il devenait luisant et lumineux. Bref, notre pépin rajeunissait à vue d’œil !
La balade s’éternisait. La belle trottinant d’un bon pas, bien à l’abri, laissait danser ses boucles brunes.
- Ce vieux parapluie oublié,
Pensait-elle,
- Un vrai bonheur !
Lui se disait,
- Pourvu qu’il pleuve longtemps, toujours. Pour être heureux un parapluie doit être mouillé.
Il était satisfait d’être ce qu’il était et se gonflait d’orgueil comme spi au vent !
Brutalement bourrasque ! Surprises les jolies mains lâchent le bec de cane. Voici donc que notre parapluie, d’un seul coup, d’un seul, prend de la hauteur, encore un peu, un peu plus encore.
Mais… il vole !
Bien fini le coin de l’oubli. Lointaine la grisaille ! Il vole, s’élève, se balance gracieux, léger, aérien même !
Il se laisse enlever loin de la ville, de la campagne…
Il vole.
En bas, au ras du sol, des nez pointent vers les cieux.
- Mais quelle est cette chose étrange, si bizarre ? Un champignon géant, un astre, un ovni, un extra-terrestre ?
Il rit beaucoup, de toutes ses baleines !
Sous lui maintenant la mer bleu turquoise ondule, immense, mouvante et magnifique !
Dernier coup de vent, le voici sur le dos, bec en l’air, un rien bête et penaud .Sa descente s’amorce, lente, régulière, inexorable. Il perd de l’altitude, doucement, doucement…
Pour se poser enfin et voguer, léger, tel un « bateau sur l’eau » comme dans la chanson.
Il poursuit son voyage, au-dessus les étoiles, au-dessous les poissons.
Il a un peu la nausée, tellement de remous, tant d’émotions, mais vraiment ne vit-il pas là une extraordinaire aventure ? Quelle histoire !
Ainsi donc voici un pauvre parapluie perdu, plutôt minable transformé en embarcation !
Il se met alors à rêver de lointains pays, plus ou moins exotiques où il serait parasol par exemple.
Il rêve tant et si bien qu’il perd le Nord, s’affole, tourbillonne et, mon Dieu…il va couler !
Il coule.
Le parapluie se referme délicatement, avec beaucoup de classe et d’élégance.
Il ne sera plus jamais sec, ni terne.
Un peu fatigué par toutes ces péripéties, il descend lentement, l’eau est douce, bienfaisante, elle entre en lui.
Elle est « Lui ».
Piqué au cœur des algues et des coraux, telle une grande fleur mobile, évanescente, il restera ainsi longtemps, toujours, jusqu’à la fin du monde peut-être…
Jos